Cinq jours dans les Écrins – Stage d’alpinisme

Cinq jours dans les Écrins – Stage d’alpinisme

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Aujourd’hui c’est Morgane, une élève de la formation Devenez autonome en haute montagne, qui va vous faire le récit de son stage d’initiation à l’alpinisme dans les Écrins organisé par Objectif Alpinisme. Sans plus de préambule, je lui laisse la plume.

Avant de partir dans les Écrins, l’alpinisme, j’en avais fait une fois. 
Résultat des courses : accident, hélico, hôpital, un mois d’arrêt.
A ce moment-là, deux choix s’offrent à toi : soit tu arrêtes les frais, et tu te ranges sagement, soit tu décides de replonger.

J’ai décidé de replonger.
Oups.

Mais pourquoi être repartie là-dedans ?

Après une première course d’alpinisme pas tout à fait terminée, je n’avais qu’une envie : remonter là-haut. Comme une revanche à prendre. Pas sur la montagne, mais sur moi-même. Me prouver que je suis capable de faire ces sorties qui me font tant rêver, et que mes petites jambes et mon gabarit de crevette peuvent me mener tout là-haut. 

Dans le fond, peu importe le sommet.
Ce qui compte, c’est de monter.

L’opportunité

Lorsque j’ai appris la création de la formation de Thomas (petit lien ici), je me suis dit que le destin (auquel je ne crois pas vraiment, pourtant) prenait les devants et venait taper à ma porte. Je suis une fille polie, alors j’ai ouvert. L’occasion pour moi, après avoir commencé trop vite et trop fort dans le milieu de l’alpinisme, de revoir les bases, doucement, prudemment, et de manière organisée.

J’ai donc commencé à suivre sagement les premiers modules.
J’étais très curieuse, je trouvais tout intéressant. Et je m’imaginais pouvoir appliquer tout ça un jour.

Puis, lorsque la création des stages d’alpinisme a émergé, je ne pouvais toujours pas ignorer le destin. Il fallait que je le fasse, il fallait que j’y aille. Et je me suis donc inscrite pour un stage d’alpinisme de 5 jours, à la fin du mois de juin.

Stage d’alpinisme Jour 1 : École d’escalade à Arsine dans les Écrins

Arrivés au village de la Grave la veille, aux portes des Écrins, nous avons rejoint notre guide le matin. Après un café en terrasse (nous reprendrons le même café sur cette même terrasse les matins suivants), nous décollons vers le site école d’escalade d’Arsine.
Situées sur la commune de Villar d’Arène, ces falaises forment un petit cirque et nous offrent le soleil une bonne partie de la journée. Un peu de vent, et c’est un vrai plaisir de grimper.

Ce matin-là, il n’est pas question de perf’ : nous nous concentrerons sur les manips à apprendre et celles à réviser. L’escalade, c’est un peu la porte d’entrée à l’alpinisme : on s’encorde, on apprend des nœuds, on est confrontés au vide, etc… Quelques voies simples pour se chauffer, retrouver les réflexes de la manipulation de fin de voie (on est quatre participants, et nous avons tous déjà fait un peu d’escalade) et c’est parti.


A midi, un casse-croûte, et ça repart.

L’après-midi, on se penche sur deux choses :

Pour certains, ça rentre vite.
Pour Olivier, qui fait déjà un peu d’alpinisme rocheux, c’est une simple révision.
Pour moi, c’est compliqué.

J’insiste sur le fait que je dois répéter et refaire inlassablement les techniques pour que ça rentre. Les autres sont patients, et Maxant – le guide – l’est également. Lorsqu’on est, comme moi, dénuée de tout sens logique, il faut donner le relais au corps. A force de répéter machinalement, la gestuelle s’imprègne toute seule. Il faut simplement un peu de patience.

Vers la fin de l’après-midi, Maxant nous dit qu’il doit aller chercher sa fille à l’école, mais qu’il nous laisse les cordes et tout le matériel pour grimper si on veut s’amuser un peu. Ni une, ni deux, nous acceptons, et pendant une bonne heure et demie, on travaille quelques voies “plaisir”.

Retour à la Grave, où nous avons loué un Airbnb à plusieurs. 

Une bière, un plat de pâtes carbo, et au lit.

Jour 2 du stage : Grande voie à Arsine (encore)

Deuxième jour d’escalade.

Maxant nous a prévu une grande voie.

On se retrouve donc tous à Arsine le matin. Le temps est maussade, il a plu durant la nuit, les conditions ne sont pas idéales. On décide quand même de tenter, et on se met en route.
S’entament alors 45min de marche entre lit de rivière, herbe et cailloux parfois instables. Le soleil ose quelques éclaircies de temps en temps, on espère que ça suffira à faire sécher la roche.

Arrivés au pied de la voie, on se rend à l’évidence : ce sera pour un autre jour.
En effet, la falaise est remplie de lichen… lichen qui mettra des heures à sécher. Une vraie patinoire, avec ou sans chaussons d’escalade. 

“Tant pis !, nous dit Maxant, on va retourner à Arsine, il y a une voie école très facile, bien exposée au soleil, qui comporte plusieurs longueurs.”

Hop, demi-tour.

On s’engage alors sur une voie très facile, comme nous l’avait promis Maxant, ça ne dépasse pas le 4. 

Au pied de la voie, je commence à m’en vouloir : j’ai l’impression d’avoir déjà oublié les manips apprises lors du stage la veille. Pas de panique, je prends le temps de réviser à nouveau. On se double-check les uns les autres et c’est parti.

On dit souvent que pour une grande voie, il faut choisir une cotation inférieure à notre niveau max. Ici, la voie est simplissime, on ne se surpasse pas physiquement, loin de là.
Mais elle a l’avantage d’être constituée de nombreuses petites longueurs (oui, j’aime beaucoup les oxymores) qui nous permettent finalement de répéter, répéter, jusqu’à ancrer les gestes correctement, le tout sans aucun stress. 

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La journée s’enchaîne tranquillement, on continue de grimper sur les falaises à droite à gauche, puis on discute des prochains jours du stage. On s’entraîne aussi à s’encorder sur glacier : nœuds, anneaux de buste, etc…

Nous étions censés faire une journée “école” sur le glacier de la Girose le lendemain, avant de s’attaquer au sommet de la Grande Ruine deux jours plus tard. Or, nous sommes fin juin, et il se trouve que le téléphérique censé nous amener sur le glacier ne fonctionne pas encore en semaine. Tant pis, on va inverser… 

Jour 3/ Marche d’approche au refuge d’Adèle Planchard

On se retrouve tôt le matin, aux alentours de 7h, pour monter au refuge avant d’atteindre la pointe Brevoort de la Grande Ruine, un des sommets classiques du massif des Écrins, le lendemain. La Grande Ruine est à priori une course d’alpinisme sans grande difficulté… mais en haute montagne, on ne peut jamais être sûr de rien !

Le programme de la journée ?
Monter au refuge d’Adèle Planchard. Environ 1500D+ et une dizaine de kilomètres.

L’objectif de la journée ?
Arriver avant la pluie, prévue vers 13h.

Challenge accepted.

On se met donc en route tous les cinq, sacs à dos accrochés, bâtons aux mains.

Le chemin serpente discrètement en fond de vallée. Personne ne parle. Il y a certes la fatigue due au réveil, mais aussi un grand calme. Ce n’est pas un silence pesant ; c’est un silence doux. Une sorte de procession. 

Le jour s’éveille doucement au rythme de nos pas. Personne ne se presse, personne n’essaye d’aller vite. On contemple la rivière plus bas qui s’éloigne au fur et à mesure.

Le massif de la Grande Ruine qui se reflète dans l’eau de la Romanche. Paysage dégueu.

Environ une heure plus tard, nous arrivons à un immense replat au milieu duquel coule la Romanche. Partout autour, de l’herbe et des marmottes, surplombées par les montagnes. Comme un air du Seigneur des Anneaux qui flottait là.

“C’est magnifique ici !

– Oui, c’est beau. Après, tu verras au retour, tu trouveras ça bien plus long que beau !”

(Spoiler alert : le retour a en effet paru très long)

La Romanche continue de s’étendre sur plusieurs kilomètres, que nous traversons, jusqu’à sa source. Après les sources, nous bifurquons afin de nous attaquer au gros du dénivelé : 1000D+ dans la caillasse pour atteindre le refuge. 

Depuis quelques mois, je fais beaucoup de trail et j’ai perdu l’habitude de porter un sac lourd. De plus, quand tu pèses pareil qu’une allumette, c’est compliqué de porter du poids : raison pour laquelle j’ai décidé de ne pas m’encombrer. Pas de paires de baskets pour l’approche, pas de kilos de sauciflard, et aucune fringue en plus de mes trois couches habituelles.

Les névés encore bien présents pour monter à Adèle Planchard

Romain, lui, est plus lent et a l’air de souffler plus que nous dans la montée. On apprendra le soir au refuge qu’il avait décidé de nous faire une surprise, et de nous monter une bouteille de vin, hissant un sac plus lourd que les nôtres. C’est pratique, finalement, un porteur de gnôle lors d’un stage d’alpinisme !

Nous arrivons au refuge aux alentours de 13h. 

Guillaume, le gardien, nous accueille chaleureusement. 

Je m’allonge dehors, sur les cailloux. Il n’y a pas de soleil direct mais à presque 3200m, ça tape malgré tout. Avec une dégaine inégalable de birks/chaussettes aux pieds, je vais crapahuter gentiment vers l’antenne plus loin et observer le paysage. J’adore ce sentiment d’être perchée, accrochée quelque part en hauteur. Olivier me rejoint, nous prenons quelques photos, puis nous retournons au refuge tandis que le mauvais temps débarque doucement.

La barre des Écrins et son dôme se cachent, laissant la première place à d’autres sommets plus bas.

Une bière, un chocolat, je ne sais plus dans quel ordre, mais nous finissons par jouer au Scrabble pendant que la neige commence à tomber dehors, et que le vent l’écrase sur les fenêtres.

Dans l’après-midi, nous discutons avec Maxant, notre guide de la suite du stage. On fait le point sur quelques techniques (le cramponnage, le piolet canne, l’encordement sur glacier) déjà abordées la veille, et on continue de réviser. On étudie la carte, Maxant nous pose des questions, nous incite à travailler nous-mêmes sur l’itinéraire. Le monde de l’alpinisme est de plus en plus concret à nos yeux.
Puis vient l’heure du repas. Comme dans presque chaque refuge, on mange bien et surtout à notre faim (et Dieu sait que malgré mon gabarit de crevette, j’ai un appétit à toute épreuve). 

On décide d’un lever à 4h le lendemain.
Nous allons nous coucher vers 21h, emmitouflés sous des couches et des couches de couverture. 

Malgré l’appréhension, je suis plutôt sereine.

Stage d’alpinisme jour 4 : Sommet de la grande Ruine

Le réveil sonne donc à 4h dans le dortoir.

Direction le petit-déjeuner, et comme souvent dans les refuges, c’est tartines et confiture.
J’ai toujours du mal à manger sucré au saut du lit. Je me force un peu, mais je ne parviens pas à avaler grand-chose.

On prend bien le temps de se préparer. Avec un départ prévu pour 5h, nul besoin de se presser. La Grande Ruine n’est pas une course longue, les conditions ne sont pas trop mauvaises, même si dehors on devine une tempête de neige (c’est faux, mais j’adore en faire des tonnes).

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Nous chaussons les crampons directement à la sortie du refuge : il y a encore de la neige partout, ils seront utiles et surtout, moins lourds à porter aux pieds que sur le dos !

Entre le vent qui souffle, le froid et la neige roulée qui nous fouette le visage, je galère presque un quart d’heure pour enfiler mes crampons. J’ai l’impression d’être déjà épuisée au moment de partir. 

On décide de former deux cordées : la première est constituée d’Olivier et David. J’avoue à Maxant que malgré tout, j’ai toujours un peu peur depuis l’accident, et que je serais rassurée d’être encordée avec lui lorsque la pente se raidira un peu. Je m’encorde donc à Romain et lui, puis nous partons finalement plus tard que prévu, sur les coups de 5h15-5h30.

Nous marchons tranquillement sur un faux plat montant en direction du glacier supérieur des Agneaux, que nous devons traverser. Encore une fois, personne ne parle, mais je crois que tout le monde est heureux d’être là. Le jour pointe timidement son nez, et le vent diminue. 

Au bout d’une demi-heure, nous faisons une pause pédagogique sur un replat du glacier. Maxant nous explique pourquoi c’est préférable de faire une pause à cet endroit-là précisément, nous demande, à notre avis, quel est le chemin à suivre, etc…

Au moment où nous parlons, il ne neige plus. Le soleil se lève et transperce les nuages. Nous assistons à un spectacle d’une beauté que je regrette de ne pas pouvoir admirer plus longtemps. 

Assez traîné, il faut repartir.
Cette fois, je passe en tête.

Nous attaquons la pente. Sur le glacier, elle s’élève presque à 35 degrés. Pas de quoi fouetter un chat, à priori. Il y a Olivier et David devant nous, mais le sol est gelé, ne permettant aucune trace, si ce n’est les minuscules pointes de nos crampons, et encore moins de tailler des marches. Je monte sans un mot, mais intérieurement, je panique : si le sol est encore en glace au retour, je ne sais pas comment je vais descendre. Les vieux démons et la panique refont très vite surface dans ma tête.

Nous continuons de monter, à faible allure, et je me sens de plus en plus mal.
Peur de ne pas y arriver. Peur de paniquer à la descente. Peur de ne pas « être faite » pour l’alpinisme. Je commence à être en hypoglycémie, mais impossible de manger quoi que ce soit. Impossible de boire, également, puisque j’ai une furieuse envie de pisser. Et pisser sur un glacier, quand on est une nana, ai-je besoin de vous faire un dessin pour vous faire comprendre que c’est relativement technique ?

On arrive aux alentours de 3600m d’altitude.

Nous sommes à hauteur de la rimaye.
Il y a quelques passages un peu techniques à franchir, on s’assure en moulinette l’un après l’autre pour arriver sur la plateforme un peu plus haut. J’ai clairement envie d’abandonner. 

Nous continuons dans un mélange de neige et roche instable, où il n’y a pas de vide autour, mais où chaque prise se décroche facilement sous notre poids.

Et puis, un pas à faire, rien de bien méchant, rien que je n’aurais pas fait 1000 mètres plus bas. Mais là, impossible. Je ne le sens pas.

Maxant regarde sa montre : il est déjà 8h30.

Nous sommes à environ 100 mètres sous le sommet, mais il reste un petit couloir de neige, exposé plein sud, à remonter puis à descendre. 

Le guide nous dit qu’il craint que ce passage soit un peu pourri et casse-gueule à la descente.
Il est déjà tard, et nous avançons lentement, en partie à cause de moi. Nous décidons tous qu’il est préférable de rebrousser chemin. J’ai peur que les mecs soient déçus.

Au retour, les autres décident de faire un crochet par le col, pour avoir un peu de vue. Je suis toujours en hypo, et j’ai encore peur, donc je les attend sagement, accrochée à mon piolet. Je crois que je lâche une ou deux larmes (bon ok, peut-être un peu plus).

Nous redescendons tranquillement, le soleil est totalement sorti et nous chauffe bien. Bizarrement, dans la descente, mon angoisse se dissipe. Je suis plus confiante.

Et une fois en bas de la pente qui m’a fait stresser toute la montée, je réalise que ce n’était rien. 

Rien d’insurmontable. 

Que mes crampons mordaient correctement.
Que mes jambes ne se dérobaient pas sous mon poids.
Et que je pouvais avoir confiance.

(Bon, et le fait que le soleil ait transformé la glace en neige a pas mal aidé, je vous l’accorde…)

Nous retournons au refuge pour avaler un bout avant de redescendre.
Un peu plus tard, la seule cordée présente avec nous ce jour-là et ayant atteint le sommet revient au refuge. Ils nous confirment que c’était bel et bien pourri là-haut. Ils ont l’air d’avoir galéré. Un poids s’enlève de ma poitrine : je culpabilisais et j’avais l’impression d’avoir fait redescendre tout le monde, mais c’était sans doute une bonne idée de faire demi-tour.

Nous disons au revoir au gardien, à l’autre cordée, et redescendons vers la vallée.
Nous avons environ une heure tranquille, et puis c’est le déluge jusqu’à la voiture.
Le déluge, et le vent de face.
Sinon, c’est pas marrant.

Jour 5/ Arête du Râteau

Pour cette dernière journée de stage d’alpinisme, c’est journée chill sur le glacier de la Girose. 

Après une bonne nuit de sommeil, on se donne rendez-vous à 9h au téléphérique.
On peut se permettre de commencer tard.
Il va faire beau.

J’ai récupéré de la veille et je suis plus confiante (après être passée par des phases de “j’arrête la montagne” et “l’alpi c’est pas pour moi”), je sais que ça va être une belle journée.

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On admire les sommets alentour. Le Mont Blanc, au loin, se dégage

Si on a l’œil, on peut même apercevoir la dent du Géant, qui à cette distance, porte mal son nom tant elle paraît minuscule.

Sous un soleil éclatant, et surplombant une jolie mer de nuages, Maxant nous explique qu’on va tranquillement aller du côté de l’arête du Râteau, pour travailler un peu l’encordement sur une arête rocheuse, encordement complètement différent du glacier. 

On se met en route, mêmes cordées qu’hier, et on suit les traces.

Au loin, on aperçoit la rimaye, ainsi qu’une pente qui me paraît très raide.
Trop raide.

Maxant nous explique :

“Avant, c’était moins pentu. Avec le mouvement du glacier, elle se raidit d’année en année.

– Quelle inclinaison tu dirais, là ?

– Oh, un bon 45 degrés. Bien tapé. »

Je déglutis.

La dernière fois que j’ai monté, puis descendu un couloir de ce degré-là, il faisait 400 mètres et j’ai fini à l’hôpital.

A nouveau, les vieux démons.
La panique.


On franchit la rimaye.
A ce moment-là, j’ai tellement peur que j’imagine tous les scénarios catastrophes. J’ai l’impression que la rimaye va nous engloutir, et emmener au moins l’un de nous dans les entrailles de la Terre. Un tas de pensées sombres et complètement subjectives tournent dans ma tête.

Cette fois, je pleure vraiment. Je dis que je ne vais pas pouvoir y aller.
Maxant me dit “On s’encorde court, et je reste très près de toi”.

De l’extérieur, on pourrait penser que c’est dangereux de pousser quelqu’un à faire une chose dont il a peur dans ces conditions-là, mais je crois avec le recul que Maxant, en sa qualité de guide, était intimement persuadée que j’y arriverai. 

Nous commençons à monter.
Au premier coup de piolet, je suis étonnée : je retrouve en une fraction de seconde le plaisir que j’avais eu à monter ces satanés 400m de couloir l’an dernier. Plaisir qui avait été totalement effacé de ma mémoire par l’accident. 

Je continue de taper, de me hisser.
Un paquet de gens sont passés avant nous, les marches sont bien taillées mais parfois trop hautes pour moi. Je les retaille à ma hauteur.

Mes larmes sèchent.

En peu de temps, nous arrivons en haut.
Je suis étonnée de voir mon stress s’envoler ; ce qui fait peur, c’est généralement la descente. 

On se dirige vers l’arête.
Là, nous apprenons à assurer en mouvement avec des points d’ancrage. On inverse les rôles, chacun notre tour, encore et toujours pour imprégner les gestes dans le corps. On prend des tas de notes mentalement.

C’est l’heure du casse-croûte.
On se trouve une grande vire, assez large pour tous nous accueillir, et on mange tranquillement.
Le soleil tape. Tout le monde a le sourire.

Malheureusement, certains d’entre nous habitent loin et nous ne devons pas traîner.

On décide alors de redescendre via une pente plus raide, entièrement neigeuse (pas de glacier en dessous, Maxant nous l’a assuré), et très courte. 

Un petit raccourci qui me permet de demander à Romain de feinter une chute.

En tant que gonzesse petite et pas très lourde, une de mes plus grandes peurs en montagne est de ne pas pouvoir enrayer la chute d’un compagnon plus lourd.

Alors, sur cette pente digne d’une piste de luge et sans danger, je me dis que c’est le moment de tester.

Romain décide de tomber de tout son poids, sans me prévenir quand, et… je glisse d’à peine 50 centimètres avant de m’arrêter avec mon piolet.

J’hallucine. 

C’est vraiment bien fichu, cet outil.
Les autres, tour à tour, essayent également. On tombe, on se retient, on se marre pas mal.

Ça m’apaise, notamment pour la descente du petit couloir qui reste à venir.

Le couloir…

En haut, on regarde la pente, et on discute de comment la descendre : de biais ? Face à la paroi ? Face à la paroi paraît plus rassurant, mais sans doute un peu plus long. 

J’hésite, mais pas longtemps. On se lance, tous en biais.

La neige est excellente, les marches tiennent bien, et le soleil permet d’en créer d’autres.
Je suis un peu tendue, je suis à peu près certaine que toutes mes tensions sont parties se nicher dans mes quadriceps, mais j’ai le sourire. Je suis concentrée, mais je réalise très vite que ce court passage ne sera pas un problème.

Arrivée en bas, j’ai le sourire jusqu’aux oreilles. 

Les mecs sont compréhensifs, ils me félicitent (alors qu’eux n’ont eu aucun souci !).

On redescend vers le téléphérique.

Maxant me dit “C’est bien, tu as pu démystifier un peu la pente raide, c’est top !”. 

Je suis ravie.

Soulagée. 

Heureuse.
Et un peu fière, aussi, même si ce n’est pas grand-chose.

Mais pour moi, passer au-delà des peurs provoquées par l’accident, c’est énorme.

Finalement, je ne vais pas arrêter la haute montagne.

Je vais continuer.

Avec David, Romain et Olivier, on se dit qu’on pourra essayer de se retrouver à mi-chemin de nos chez-nous respectifs pour faire des grandes voies, grimper un peu. Et pourquoi pas, si le timing le permet, partir faire quelques courses d’alpi faciles, même une simple rando glaciaire. Finalement, le but aujourd’hui, ce n’est pas de se lancer dans des courses rocambolesques cotées ED+ sur Camptocamp. C’est de consolider tout ce qu’on a appris lors de ce stage d’alpinisme, que ça devienne des automatismes, pour ensuite, pouvoir progresser et continuer de partir en autonomie sur des courses plus variées. Plus esthétiques. Ou simplement différentes.

 

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