Pourquoi vous devriez arrêter de crier quand vous faites une grande voie (et pourquoi c’est une bonne habitude à prendre pour faire de l’alpinisme)
Si vous avez déjà passé quelques jours au camping d’Ailefroide en plein été pour faire de l’alpinisme ou de l’escalade, alors vous avez sûrement eu la joie de prendre votre petit déjeuner en entendant les cordées dans les voies aux alentours hurler : « Relaiiiiis » ou « Cooooooorde ».
Je ne suis apparemment pas la seule à partager cette expérience puisqu’un message sur CampToCamp disait ceci : « Quand j’étais à la Poire d’Ailefroide et que chaque minute j’entendais : « je vois le relais » ??!! (source d’accident), « relais vaché », « tu es au relais ? », « oui, relais », « ok, corde libre », « ok », « bout de corde », « quand tu veux », « départ », « ok », multiplié par 5 cordées et 8 longueurs, on passe une mauvaise journée. »
Quand j’ai commencé l’escalade, je faisais la même chose. Et puis un jour, j’ai grimpé avec une copine qui a appris l’escalade en grande voie dans des régions où le vent empêche de s’entendre et m’a dit : « Mais tu sais, crier ça ne sert à rien en grande voie. C’est juste épuisant et en plus, la plupart du temps, on ne s’entend pas. C’est alors encore plus stressant d’avoir l’impression de rater une information importante. » Et elle m’a ensuite montré comment faire pour communiquer avec son compagnon de cordée sans avoir à hurler dans les grandes voies.
Cette petite technique qui permet de communiquer avec la corde a complètement changé mon expérience de la grande voie. C’est devenu immédiatement plus paisible et agréable. Le niveau de tension et de fatigue a immédiatement baissé, et désormais quand j’entends des grimpeurs s’égosiller, je me dis « rien ne sert de hurler, personne ne t’entendra ». En prime, pour faire de l’alpinisme, savoir communiquer avec la corde est essentiel pour rester en sécurité.
Mais on crie pour dire quoi dans une cordée ?
Crier en grande voie est une habitude qui vient de l’escalade en couenne. Si cette habitude est légitime quand on pose une moulinette, elle l’est beaucoup moins en grande voie (et encore moins pour faire de l’alpinisme).
Reprenons les choses du début, en grande voie, les grimpeurs crient pour dire 5 choses.
- « Relaiiiiis » ou « vachééééé », cela permet au leader de prévenir son second qu’il est arrivé au relais et qu’il est longé donc sécurisé.
- L’assureur crie alors « liiiiiibre » pour indiquer qu’il vient de libérer la corde (c’est-à-dire de retirer son système d’assurage) afin que le leader ravale la corde pour la passer dans le relais.
- L’assureur crie ensuite « bout de cooooooorde » pour indiquer au leader que toute la corde a été ravalée.
- Le leader passe alors la corde dans le système d’assurage et crie « quand tu veux ! » ou « c’est bon » à son second pour lui dire qu’il est prêt.
- Et enfin, l’assureur dit « dépaaaaart » (et si la cordée est composée de trois personnes, il dira « dépaaaaart » + la couleur de sa corde) pour indiquer qui commence à grimper.
En prime, certains ajoutent le prénom lorsqu’ils crient, pour éviter la confusion avec d’autres cordées. Cela part d’une bonne intention, mais en réalité cela crée encore plus de confusion.
Ce petit rituel, répété à chaque longueur, est épuisant. Pour vous dans un premier temps, mais aussi pour les grimpeurs qui ne sont pas dans votre cordée. En plus, ça peut même être dangereux et donc contre-productif, je vous explique pourquoi…
Pourquoi est-ce une mauvaise idée de crier dans une grande voie ?
Crier en grande voie est un moyen de se rassurer, de se dire qu’on ne libère pas la corde alors que le grimpeur n’est pas arrivé au relais… Vous me direz : c’est une question de sécurité et ça part d’une bonne intention ! Certes, mais…
Premièrement, c’est crevant car une fois sur deux, on ne s’entend pas, et ça finit en :
- Quoiii ?
- C’est l’autre cordéééééée qui a paaaaaarlééééé
- Qu’est-ce que tu as diiiiit ?
- Riennnnnn !!!
- T’es au relaiiiiis ? Je n’ai pas entenduuuuu !!!!
Bref, on s’égosille pour rien et on a l’impression d’avoir raté une information importante. Hurler, ne pas bien comprendre, douter…, cela monte automatiquement le niveau de pression dans la cordée et donc vous fatigue et vous stresse inutilement.
Deuxièmement, c’est parfois contre-productif en matière de sécurité, car s’il y a du monde dans les longueurs pas loin de vous, alors quand le voisin dit « relais », vous pouvez penser que c’est votre leader qui l’a dit (le prénom se perd parfois entre-temps). Vous libérez alors la corde par erreur et votre leader sera en danger s’il chute à ce moment-là.
Troisièmement, c’est parfois tout simplement peine perdue. Évidemment, s’il y a du vent ou 50 mètres de corde et une paroi entre vous, ce n’est même pas la peine d’essayer de vous faire entendre. Et dans ce cas-là, ça peut vite être la panique, car on ne s’entend plus et on ne sait pas comment faire pour communiquer autrement. On en arrive même à se dire : « La prochaine fois on prend des radios. » Mais ce n’est pas mieux. La radio peut dysfonctionner, alors que la communication par la corde, elle, fonctionne toujours. C’est le système le plus fiable et donc le plus sécurisé.
Comment faire pour ne plus avoir besoin de crier en grande voie ?
Venons-en maintenant au cœur du sujet et reprenons les 4 étapes clés qui nécessitent de communiquer avec la corde.
Étape 1 : Le leader arrive au relais et s’y longe.
À ce moment-là, il lui suffit de ravaler quelques brassées de corde de manière énergique puis de s’arrêter (ainsi, le second doit donner de la corde à un rythme beaucoup plus rapide et il sent la différence). C’est le signal qui indique au second qu’il peut retirer son assureur de la corde. Il est alors important que le leader laisse le temps à son second de retirer son système d’assurage. On pourrait imaginer un autre signal (3 coups secs sur la corde, par exemple), mais, pour ma part, ravaler quelques mètres de corde très rapidement est un signal qui fonctionne avec mon binôme.
Si le second a un doute sur le signal, il continue de donner du mou comme avant jusqu’à arriver en bout de corde. Ça arrive rarement mais cela permet de ne pas faire de bêtises. Pourquoi le leader aurait-il un doute ? Il peut se dire que le leader est simplement dans un passage très facile et qu’il avance très vite. En connaissant le topo, on sait si c’est une éventualité et, au pire, on donne du mou jusqu’à arriver en bout de corde, ce n’est pas un drame.
Étape 2 : Le leader ravale ensuite le reste de la corde. Lorsqu’il arrive en bout de corde, il le sent, ce n’est pas nécessaire de le lui indiquer.
Étape 3 : Le leader relâche alors une grande brassée de mou. Cela évite que le second retire sa longe et parte. En effet, règle élémentaire à connaître pour faire de l’alpinisme ou de l’escalade : on ne part que si la corde est tendue ! En prime, grâce à cette brassée de mou, le leader peut facilement passer la corde dans son système d’assurage. Puis, il prend son second sec pour la deuxième fois, cette fois grâce à son système d’assurage.
Étape 4 : La corde est tendue, le second sait alors qu’il est assuré et qu’il peut partir.
Résultat ? Toute cette manip s’est faite en silence, et avec beaucoup plus de fiabilité dans les signaux envoyés que des mots perdus dans le vent ou venus d’une autre cordée.
Bernard Gravier, le pro de la communication par la corde
Voici un exemple avec un autre signal mais qui part du même constat : ne pas crier. Peu importe le signal, pourvu qu’il soit clair pour les membres de la cordée.
À méditer si vous voulez faire de l’alpinisme ou de l’escalade : « Le langage est source de malentendu. Moins on parle, mieux on s’entend. Mieux vaut tirer sur une corde verticale que sur les cordes vocales :). » Bernard Gravier, Entre Ciel et Pierres.
Danger, difficulté dans un passage… Est-ce qu’on crie ?
Nous avons vu comment communiquer avec la corde pour la manip au relais (ce qui constitue certainement 80 % du tapage diurne dans les grandes voies), mais est-ce qu’il y a des situations où on peut (doit) quand même crier ?
Oui, uniquement en cas de danger. Désormais, en grande voie, je crie uniquement s’il y a un danger imminent : cailloux, risque de blessure, nid de guêpes au relais… C’est un bénéfice supplémentaire de cette technique, car si j’entends mon binôme crier, je n’ai pas de doute, je sais que c’est pour un danger urgent et que je dois être très vigilante.
« Et si je veux que mon second me prenne sec, car j’ai besoin de prendre un repos avant le passage difficile ? »
Pour ma part, si j’ai besoin d’un repos en tête alors je me vache au point avec ma longe. Cela évite de crier et je préfère. À vous de voir maintenant les règles exactes de communication que vous souhaitez installer dans votre cordée. Le plus important c’est d’en avoir discuté avant pour se mettre d’accord et limiter la communication verbale au maximum.
Oui mais…
Le mieux reste de tester cette méthode et de voir ce que ça change dans votre cordée. Testez et jugez ensuite. Je ne connais personne qui ait essayé et qui soit revenu aux cris. Voici 2 remarques que j’entends souvent chez les plus sceptiques :
« Et si je grimpe avec quelqu’un de manière occasionnelle, est-ce faisable ? »
Oui ! Cette communication marche d’autant mieux si on grimpe souvent avec la personne, mais c’est possible avec des binômes occasionnels. Il suffit de prendre le temps de se mettre d’accord sur le signal avant de partir.
« Des talkies-walkies, ça ne coûte pas grand-chose et c’est très pratique. Pourquoi s’en passer ? »
Certes, mais pourquoi prendre une béquille quand on peut marcher sans ? Un talkie-walkie sera toujours moins fiable que le signal par la corde (saturation d’un canal par d’autres cordées, panne, chute dudit talkie-walkie du haut de la falaise…). Si je ne sais pas communiquer sans radio, alors je vais me retrouver dans la panade le jour où les radios ne fonctionnent plus.
Pourquoi cette habitude est excellente à prendre si vous voulez faire de l’alpinisme
En alpinisme, on ne crie pas. C’est tout ! Donc autant apprendre à communiquer avec la corde en grande voie pour être habitué si vous voulez faire l’alpinisme. À cause du vent en altitude et de la manière dont on chemine dans les voies en alpinisme, ça ne sert à rien de crier car on ne s’entend pas. Vous vous imaginez crier pendant 10 heures de course d’alpinisme ? C’est infaisable, l’alpinisme est une discipline déjà bien assez fatigante comme ça. Pour faire de l’alpinisme, il faut que votre communication soit économe en énergie (humaine).
Voici quelques règles de bases pour communiquer en alpinisme avec la corde :
- n’avancer que si la corde est tendue ;
- si le leader doit s’arrêter, par manque de matériel ou pour tirer une longueur dans un passage difficile, alors il installe un relais et fait venir son second. C’est tout. Jamais il ne lui dira « relaiiiiis » ou « tu peux veniiiiir !!! ».
Que retenir de cet article si vous voulez faire de l’alpinisme ou de l’escalade ? Qu’il existe de nombreuses façons de communiquer avec la corde sans parler… Je passe de bien meilleurs moments avec mes compagnons de cordée depuis qu’on ne crie plus. En même temps, se crier dessus, ça met une sale ambiance… Qui peut dire le contraire ?
Je rêve donc de grandes voies silencieuses où les grimpeurs s’élèveraient sans crier et où le chant des oiseaux et le cliquetis des dégaines au baudrier seraient les seuls bruits qui viendraient chatouiller nos oreilles.
En complément de cet article, je vous renvoie également vers celui qui explique pourquoi ne pas jeter la corde pour descendre en rappel. Et avec ça, vous serez sur la bonne voie pour faire de l’alpinisme ou de la grande voie (sans vous abîmer les cordes vocales) !
Auteur : Emilie Lechevalier
Néo-montagnarde, je me suis installée en Savoie en 2017 et j’y ai découvert l’alpinisme et le ski de randonnée.
Depuis, j’aime les cordées qui respectent les temps du topo, le gling-gling du matos qui pend au baudrier au départ d’une voie, les cordes lovées avec amour et les peaux de phoque qui collent juste ce qu’il faut…
Parmi mes plus beaux souvenirs de montagne, il y a : d’interminables bambées dans les Écrins, des grandes voies au-dessus de la mer à l’automne et de trop courtes journées de peuf entre copains.
Mais il y a aussi toutes ces heures passées à préparer des courses, à réviser des manips de corde dans mon salon et à discuter de la complexité du facteur humain.
C’est pourquoi, une fois le piolet rangé : le stylo prend le relais, pour partager des récits de voyage à la verticale mais aussi des conseils pour progresser.
C’est ainsi que je suis devenue rédactrice spécialisée dans les sports de montagne et auteure du Carnet Montagne.
Retrouvez mes courses en montagne sur le compte Instagram @lesdirtbags
Et pour aller plus loin, c’est par ici : https://emilie-lechevalier.fr/